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Dernier article & statut actuel du dossier (Avril 2022) : Ma visite à Charles – Par Laurent Bachelot
Le contexte
Charles Flores a été condamné sur le fondement du témoignage d’une personne qui avait vu deux hommes sortir d’une voiture aux motifs étranges avant le lever du jour, dans l’allée des voisins. Ce témoin, Jill Barganier, a tout d’abord décrit les deux hommes comme étant des “individus de sexe masculin, de type européen, avec de longs cheveux” et qui se ressemblaient. Puis, elle a subi une séance d’hypnose au poste de police pour l’aider à “se détendre” et à affiner ses souvenirs. Après cette séance d’hypnose, on lui a aussitôt demandé d’effectuer un portrait robot dont le résultat ne ressemble en rien au portrait de Charles Flores. On lui a ensuite montré différentes images d’individus de sexe masculin et de type hispanique qui ne correspondaient pas à sa description de la personne qu’elle avait manifestement vue. Ce n’est qu’une fois au tribunal, un an plus tard, qu’elle a été en mesure d’effectuer l’identification, lorsqu’elle a vu M. Flores assis à la table de la défense au cours de son procès. L’agent de police chargé de l’hypnotiser lui avait assuré qu’elle “aurait des souvenirs plus précis ultérieurement,” ce qui lui a donné, selon les avancées scientifiques actuelles, une confiance infondée et même “exagérée” en sa capacité à se souvenir d’un événement qui, très vraisemblablement, n’avait pour commencer, jamais été « encodé » dans sa mémoire.
Lors du procès, un expert désigné au bénéfice de l’Etat, fréquemment appelé à former des hypnotiseurs pour la police, a indiqué lors de son témoignage que des mesures de protection suffisantes lors de la procédure avaient été appliquées lors de la séance d’hypnose de Mme Barganier et qu’ainsi, les « quatre dangers de l’hypnose, à savoir l’hyper-suggestibilité, la perte de jugement critique, l’affabulation, et la fixation des souvenirs, n’étaient pas un souci ». A l’époque, de nombreux spécialistes de la mémoire et de l’hypnose croyaient que des garanties suffisantes existaient et, que si elles étaient mises en place, elles pouvaient permettre de s’assurer qu’un témoignage recueilli après hypnose était fiable. (En savoir plus sur l’affaire)
En 2016, une date d’exécution a été fixée pour Charles. Alors, s’appuyant sur une nouvelle loi texane, il a déposé un acte introductif d’instance axé sur les “pseudo-sciences”, mettant en cause la procédure d’identification biaisée par l’hypnose dans ce dossier. La Cour d’appel en matière pénale, soit la juridiction pénale la plus élevée au Texas, a émis un sursis à l’exécution de Charles et a renvoyé l’affaire au niveau du tribunal d’instance de Dallas pour que se tienne une audience en examen de preuves. Lors de cette audience, Charles aurait la possibilité d’établir si oui ou non le témoignage de l’expert de l’Etat sur la fiabilité de l’identification par le témoin hypnotisé s’oppose à l’appréhension scientifique actuelle de l’hypnose et des souvenirs des témoins oculaires.
Lors de l’audience en examen de preuves, M. Flores a présenté le témoignage d’un spécialiste de l’hypnose et celui d’un expert de la mémoire et de l’identification par témoins oculaires. Tous deux ont démontré que le témoignage de l’expert présenté lors du procès ne concorde pas avec la compréhension scientifique moderne du lien entre l’hypnose et la nature intrinsèque de la mémoire. Les experts ont attesté que selon le consensus scientifique actuel, les souvenirs ne sont pas stockés comme un enregistrement vidéo sur lequel on peut faire pause, qui peut être rembobiné ou manipulé d’autres manières sans subir de déformations. Non, aujourd’hui, les scientifiques s’accordent sur le fait que la mémoire est intrinsèquement “reconstructive”. En outre, les chercheurs d’aujourd’hui s’accordent à dire que l’hypnose augmente les risques de suggestibilité et diminue la probabilité pour le témoin hypnotisé de se souvenir des événements de façon précise. Lors de l’audience de Charles, les experts ont également expliqué que, contrairement à l’époque du procès, aujourd’hui émergeait pour ainsi dire un consensus selon lequel l’hypnose ne fait qu’accroître les risques de création de faux souvenirs, de confiance injustifiée en ses souvenirs, et d’erreurs d’identification de la part des témoins oculaires.
Lors de l’audience d’après condamnation, Mme Barganier a admis que, concernant certains détails des souvenirs de ce dont elle avait été témoin, elle n’était pas “tout à fait sûre s’il s’agissait de [son] imagination ou non, mais . . . que c’est ainsi dont [elle] se souvenait des événements.” Malgré cela et malgré des aveux de cet ordre, elle a maintenu qu’elle était sûre de son identification au tribunal, après toutes ces années. Par contre, l’officier de police qui l’avait hypnotisée a admis n’avoir réalisé qu’une seul et unique séance d’hypnose sur toute sa carrière, sur Mme Barganier, et qu’il n’était plus sûr des hypothèses qui l’avait conduit à croire, en 1998-1999, que l’hypnose pouvait servir à retrouver des souvenirs précis.
Situation actuelle/Etat de la procédure :
Environ dix mois après la conclusion de l’audience, le tribunal d’instance a signé une ordonnance conforme aux conclusions proposées par l’État, en fait comme en droit, mot pour mot. La décision contenait une série de conclusions contradictoires: que l’expert de l’État, lors du procès, n’avait fait aucune affirmation erronée et que la séance d’hypnose avait été menée selon les règles ; que les identifications effectuées après hypnose sont fiables et conformes aux sciences modernes en matière d’identification par des témoins oculaires ; que la séance d’hypnose n’avait eu aucun effet sur le témoin parce que l’officier de police ne faisait qu’aider Mme Barganier à “se détendre” ; que la science qui s’attache à étudier l’hypnose n’a pas évolué, car elle a toujours fait l’objet de “controverses” ; et que, dans tous les cas, les preuves de la culpabilité de M. Flores étaient suffisantes même sans l’identification après hypnose. L’affaire se trouve désormais entre les mains de la Cour d’appel en matière pénale, cour qui décidera si M. Flores a droit à un nouveau procès.
L’association américaine « Innocence Project » a récemment déposé un mémoire à titre d’intervenant désintéressé dans l’affaire de Charles. Dans son mémoire, le groupe « Innocence Project » demande à la Cour d’appel en matière pénale de rejeter les conclusions de l’accusation et d’accorder réparation sur le fondement des preuves apportées lors de l’audience en examen de preuves comme suit :
- La capacité de Mme Barganier à créer un souvenir durable de ce qu’elle a vu devant chez elle était nécessairement limitée par des facteurs déterminants comme la luminosité, la distance, et la durée de l’exposition à la scène.
- Les agents de police chargés de l’enquête sur cette affaire ont eu recours à un certain nombre de pratiques d’identification hautement suggestives dont on sait maintenant qu’elles altèrent les souvenirs des témoins oculaires : séance d’hypnose, procédures d’identification multiples réalisées par des personnes qui connaissaient déjà l’identité du suspect, et constitution d’un jury favorisant les préjugés.
- Lorsqu’elle a témoigné lors du procès, Mme Barganier avait été exposée à un grand nombre d’informations qui ont altéré ses souvenirs ; ces éléments ont visiblement influencé et modifié le récit des événements auxquels elle a assisté.
- Bien qu’elle ne soit pas parvenue à identifier Charles lors d’une procédure d’identification hors du tribunal peu après les faits, Mme Barganier effectue finalement l’identification dans le cadre d’une procédure hautement suggestive, au tribunal, de nombreux mois après le crime.
Le mémoire du groupe “Innocence Project” soutient lui aussi que l’appréhension scientifique de la mémoire et que la capacité de l’hypnose à déformer la mémoire et exagérer la confiance en de faux souvenirs a connu des avancées spectaculaires depuis le procès de Charles.