Nouvelles du couloir de la mort du Texas, 17 Février 2019

« La paix est tout autour de nous, dans le monde et dans la nature. Et aussi en nous, dans notre corps et dans notre esprit. Une fois que nous avons appris à accéder à cette paix, nous en sommes transformés. Ce n’est pas une question de foi, c’est une affaire d’entraînement. » –Thich Nhat Hanh.

Depuis dix ans, les hommes du couloir de la mort au Texas sont confinés dans leur cellule et leurs affaires font l’objet d’une fouille méticuleuse tous les trois mois. Lors d’un confinement, les gardiens enferment chaque détenu dans sa cellule. Lors de la fouille, les gardiens passent au peigne fin tout le périmètre de la prison en quête d’objets de contrebande. Cette fouille s’applique aussi aux cellules, ainsi qu’aux corps des détenus du couloir. Les « objets de contrebande » correspondent à toutes ces choses que nous ne sommes pas censés détenir, la liste desdits objets faisant l’objet de modifications quotidiennes. Parfois, cet événement récurrent de la vie du couloir de la mort se déroule sans heurt et nous ne perdons rien. D’autres fois, quand les gardes font leur apparition avec pour mission de chercher et de détruire, nous perdons beaucoup.

Tous les trois mois, nous sommes soumis à cette procédure et il est très probable que d’ici deux à trois semaines, on nous annonce dès le matin que le confinement est au programme – on ne nous proposera ni promenade ni douche, alors, nous saurons que la fouille est imminente.

Peut-être que nous subirons cette fouille le jour-même, peut-être que notre unité sera la dernière à être explorée, cela, nous n’en avons pas la moindre idée. Et ce n’est pas le fruit du hasard, ces diables jouent avec ce facteur d’inconnu pour nous subordonner ; ils savent que si l’individu incarcéré peut être maintenu dans un état de confusion, que s’il est perdu, angoissé et qu’il a peur, alors il sera incapable d’exercer une pensée rationnelle.

Je repense aux toutes premières années de ma mise à l’isolement dans le couloir de la mort du Texas, pour un crime dont je suis innocent. Je me rappelle de la manière dont je faisais face à ces événements à cette époque de ma vie. J’étais contrarié, j’étais en colère. J’ai toujours eu du mal à dominer ma colère et, il y a quinze ans de cela, j’étais bien moins avisé et moins mûr, je ne savais pas encore bien qui j’étais, ce qui déclenchait ma colère, ni comment me maîtriser. A l’époque, parfois, je m’attirais des problèmes, je me braquais, refusais de suivre les règles après avoir perdu la maîtrise de ma colère. D’ailleurs, c’est bien à cause de situations dans lesquelles que je suis mis tout seul que je me suis retrouvé dans le couloir de la mort du Texas. Ajoutez à cela une bonne dose d’inconnu.

Il est intéressant d’observer comment les choses fonctionnent ici, qui sont les chefs de meute à la tête du couloir de la mort du Texas : le directeur général de la prison, son assistant, le directeur du couloir de la mort, etc. Apparemment, ils arrivent et s’installent pour quelques années puis grimpent les échelons. Du coup, on a sans cesse l’impression d’avoir affaire à un nouveau chef, parce que le dernier directeur en date vient de passer la porte tournante, auréolé d’une promotion et qu’il s’apprête à occuper un poste plus important, à gagner du galon. Alors que je remplis cette page, nous faisons face à un nouveau régime et, avec de nouveaux chefs à la tête de ce petit bout d’enfer qu’est le couloir de la mort du Texas arrivent de nouvelles règles mesquines. Ces règles sont uniquement destinées à nous contrarier et ne valent pas la peine que l’on fasse de longs discours à leur sujet, mais elles ont un effet énorme sur tous les gars qui vivent ici : elles augmentent le niveau de stress.

A ce moment précis, la plupart d’entre nous avons en tête le confinement qui se profile et tentons d’imaginer à quelle sauce nous serons mangés cette fois-ci. Les détenus du couloir de la mort du Texas doivent respecter une quantité limitée d’effets personnels autorisés et, si notre barda dépasse les limites fixées par le règlement, les gardiens décideront de ce que l’on peut conserver ou de ce qui devra disparaître.

Qu’est-ce que cela signifie, concrètement, vous demandez-vous peut-être ? Imaginez que vous soyez contraint de faire tenir tout ce que vous possédez dans votre placard. Vos effets personnels: vêtements, chaussures, livres, ordinateur, produits d’entretien et d’hygiène [savon, dentifrice, shampooing etc.], vos photos, votre vaisselle, absolument tout ! Et ce qui ne rentre pas dans le placard vous sera retiré par ces diables. Voilà ce que cela donne, et croyez-moi, ça n’a rien d’agréable d’a          voir à jeter des objets auxquels on tient, comme des courriers de la famille et des amis, des livres, des photos. Seulement, nous n’avons pas le choix, et soit nous gérons la situation sans faire de vagues, en suivant les règles et en laissant les gardiens limiter la quantité de nos effets personnels, en les laissant nous fouiller, soit on refuse de faire le dos rond, on dit non à toute collaboration, et là, il y a fort à parier qu’on se fasse asperger de gaz lacrymo,  qu’on se fasse déshabiller et emmener hors de la cellule, vers un bloc différent ou une autre unité où sont détenus les fauteurs de troubles.

Ici, ces derniers temps, je me suis surpris à réfléchir à cette folie et à la façon dont j’ai changé et dont je suis mieux à même d’y faire face. Pour commencer, il est maintenant rare que je me mette en colère et, quand cela arrive, c’est le plus souvent contre quelqu’un que je suis censé aimer, et qui m’aime, parce que je refuse de laisser les diables de ce camp de la mort du XXIème siècle avoir le moindre contrôle sur moi. Je serai d’ailleurs éternellement reconnaissant envers les précieux amis qui m’ont aidé à trouver le chemin de l’éveil spirituel, ce qui m’a notamment appris à me contrôler par la prière, la méditation etc. Parce que sans cette pratique spirituelle essentielle qui est la mienne aujourd’hui, je serais un gars de quasiment cinquante balais avec le comportement d’un jeunot de vingt-huit ans !

Et cette pensée me fait frémir, parce que des gars comme ça, j’en vois ici chaque jour.

L’un des secrets de la pratique spirituelle, c’est qu’une fois acquise, personne ne peut plus vous la retirer.

Ce n’est pas un livre ni un t-shirt de rechange, ni un sachet de chips que ces diables peuvent vous piquer. Non, ce précieux aspect de votre vie fait maintenant partie de vous, il se trouve en vous, et tant que vous aurez un souffle de vie, cette richesse sera à vous.

Qu’est-ce que je retire de la pratique spirituelle, me demanderez-vous ? Elle m’a aidé à réaliser qu’avoir peur, que ne pas tout savoir ne posait pas de problème. Que dans mon imperfection, je suis parfait, et que je dois continuer de cheminer sur cette voie sur laquelle je suis engagé et arriver au bout du périple.

Que le fait d’être impulsif peut être fatal et que partir en vrille ne fait que donner à l’ennemi le contrôle de ma personne et, aussi, et surtout, que le royaume des cieux est en moi.

Elle m’a fait prendre conscience que la paix est tout autour de moi dans le monde libre. Dans le couloir de la mort du Texas, quand je vais en promenade à l’extérieur, je trouve ce sentiment de paix dans l’air frais que je respire, dans la chaleur du soleil, dans le bleu du ciel que je contemple. Cette paix se trouve dans mon corps, dans mon esprit, et chez tous ceux que je connais et que j’aime. Et, ayant trouvé la clé de la porte qui mène au royaume où réside la paix, je peux y accéder à volonté et savourer cette paix.

Peu importe la folie du monde ici ou là, peu importe que je subisse à deux reprises le confinement et la fouille (depuis le mois de décembre), peu importe toutes les folies susceptibles de se produire à tout moment.

Je peux parvenir et parviendrai à un sentiment de paix lorsque j’en ai le plus besoin. Parce qu’il ne s’agit pas que d’une question de foi et de croyance, c’est aussi une affaire d’entraînement.

Il vous faut vous servir de la clé qui ouvre la porte derrière la quelle se trouve la paix. Plus on s’y applique, plus grand est le sentiment de paix que l’on éprouve !

AMOUR PAIX ESPOIR !

Charles D. Flores No: 999299

Couloir de la Mort du Texas

Le 17 février 2019