DES NOUVELLES DU COULOIR DE LA MORT 28 AOUT 2017.
« LES CONSEQUENCES DE L’OURAGAN HARVEY SUR LE COULOIR DE LA MORT DE L’UNITE POLUNSKY AU TEXAS »
Je vis dans le couloir de la mort du Texas depuis 1999 et, au cours de mes quelque 18 années de détention dans cette infâme prison, j’ai subi les ouragans Katrina et Ike ; ces événements ont été des moments difficiles, sans aucun doute. Alors, lorsque j’entends le mot « ouragan », associé à la partie sud-ouest du Texas, là où se trouve Livingston, je suis tout ouï.
Lorsque j’ai appris aux infos que le service météo des Etats-Unis annonçait une tempête tropicale qui était en train de se former dans le Golfe de Mexico, et que cette tempête risquait d’évoluer en un ouragan et de frapper la côte entre Corpus Christi et la frontière entre le Texas et la Louisiane, mercredi dernier, je n’ai plus lâché mon poste. L’unité Polunsky se trouve à environ 160 Km de ce littoral. Dès lors, j’ai écouté les bulletins d’informations toutes les deux heures environ, m’efforçant de me tenir au courant de l’évolution de cette tempête.
Jeudi matin est arrivé ; la tempête faisait l’ouverture de chaque bulletin d’informations, les journalistes pressant les habitants de se préparer à l’ouragan qui s’annonçait, à acheter des vivres, de l’eau, du carburant pour leur véhicule, parce que la tempête arrivait ! J’ai alors réfléchi à ce que je pouvais faire pour m’y préparer moi aussi. Ce n’est pas comme si les autorités du couloir de la mort du Texas nous laisseraient aller au supermarché pour acheter ce dont nous avons besoin ! Non, sur ce point, il s’agit en fait de faire au mieux pour parer à tout imprévu, qu’il s’agisse d’une immobilisation de toute l’unité pendant un mois de long pour cause de fouilles de chaque cellule ou d’un ouragan. Je m’efforce toujours de rester prêt à toute éventualité, mais je pensais aux autres gars qui n’étaient pas préparés. Nous n’aurions pas l’occasion d’acheter des provisions en plus, sans compter que tout se monnaye si l’on veut cantiner dans notre « supermarché », ici, dans le couloir de la mort du Texas.
Et puis, s’ajoutait à cela une question d’ordre personnel dont je m’inquiétais. Abby, une amie, avait prévu de me rendre visite le jeudi ou le vendredi et j’espérais qu’elle ferait attention à la météo et ne viendrait pas, parce que la situation pouvait devenir dangereuse sur l’autoroute, une fois la tempête arrivée. Mon amie n’est pas du genre à conduire par grand vent, et je ne souhaitais pas qu’elle prenne de tels risques. Heureusement, la matinée du jeudi a laissé place à l’après-midi, et je savais alors qu’elle n’avait pas fait le trajet pour le parloir et en étais soulagé.
Vendredi matin, j’ai appris que la tempête était désormais un ouragan nommé Harvey et que le service de météo prévoyait qu’elle frappe notre planète dans le secteur de Corpus Christi, qu’il s’agissait d’un ouragan de catégorie III, avec des rafales supérieures à 160 km/h, des précipitations et même des tornades. Ils prévoyaient également que la tempête remonte la côte pour atteindre Houston et s’accompagne de pluie jusqu’à 760 mm, provoquant ainsi des inondations massives, sachant que l’eau des précipitations qui touchent Houston s’écoule vers Livingston, au Texas.
Lorsque j’ai entendu ça, j’ai commencé à me préparer dans mon petit monde. J’ai lavé mes draps et tous les vêtements que j’avais pour que pouvoir les étendre sur une corde à linge et les laisser sécher avant que la tempête ne frappe. Je savais que j’avais assez de nourriture, de café et de papier pour écrire, même si j’aurais aimé avoir une paire de packs d’eau en bouteille – je n’avais que 5 bouteilles dans ma cellule. A part ça, j’étais aussi prêt que possible et n’avais d’autre choix que de laisser passer la tempête.
Le problème ici, dans l’unité Polunsky, c’est que chaque fois qu’une forte tempête, de l’ampleur d’un ouragan, frappe, l’électricité saute et que nous nous retrouvons sans courant dans les cellules. Nous sommes du coup aussi privé du système de ventilation qui empêche le bâtiment étanche qui abrite le couloir de la mort du Texas de se transformer en chambre de torture dont la température dépasse les 37 degrés sans ce système. Lorsque l’ouragan Katrina a frappé les côtés de la Louisiane, il est aussi remonté par le sud-est du Texas et a touché Livingston, ce qui nous a privés d’électricité pendant 3 jours. La même chose s’est produite avec l’ouragan Ike ; nous n’avons pas eu d’électricité pendant 3 jours et à chaque fois que ces pannes se sont produites, les conditions de vie dans le couloir de la mort du Texas sont devenues encore plus difficiles.
Vers 19 heures, le vendredi, j’ai entendu les responsables de l’Etat dire que les personnes qui n’avaient pas tenu compte des conseils d’évacuation là où l’ouragan Harvey devait normalement entrer directement en contact avec la terre devaient écrite leur nom et leur numéro de sécurité sociale sur leur bras avec un marqueur à encre permanente ! Ils voulaient que ces personnes le fassent pour pouvoir les identifier après qu’elles aient perdu la vie à cause de la tempête. Cette nouvelle m’a fait froid dans le dos : d’après les autorités, cette tempête ferait de très nombreuses victimes…
Samedi matin, je me suis douché tôt et étais de retour dans ma cellule pour y passer le reste de la journée dès 7 heures. C’est alors que j’ai entendu que l’ouragan Harvey avait frappé près de Corpus Christi, qu’il s’agissait d’un ouragan de catégorie IV, avec des rafales de plus de 209 km/h, des pluies et des tornades. Il avait commencé à pleuvoir dans la nuit à Houston et ici, à Livingston, le ciel était sombre et gris à travers ma fenêtre et je ne pouvais m’empêcher de penser, que se passera-t-il si nous sommes inondés ici dans l’unité Polunsky ?
Je suis enfermé dans une cellule et n’ai aucun moyen de sortir de ce tombeau. Si des pluies torrentielles devaient tomber ici, nous serions tous coincés dans ces cellules, à la merci des inondations.
Puis est arrivé le dimanche matin, et lorsque je me suis réveillé, j’ai cherché la fréquence de la radio publique, et suis tombé sur le bulletin météo télévisé des infos de CBS de Houston, parce qu’à cause des coupures d’électricité généralisées sur tout le secteur de Houston, personne ne pouvait plus regarder la télévision chez soi. La plupart des gens n’avaient plus que des postes de radio à piles ou leur téléphone portable pour pouvoir s’informer, ce qui ne faisait que souligner l’amplitude du désastre qui était en train de se produire. D’après les informations, 600 mm de pluie étaient tombés sur Houston. C’était du jamais vu au Texas. Ce matin-là, ils diffusaient en direct les sauvetages par hélicoptère des nombreuses personnes qui se trouvaient sur leur toit, en attendant d’être rapatriées en des lieux plus sûrs. C’était inimaginable, Houston et sa banlieue, au Texas, comptent 6,5 millions d’habitants, j’avais donc du mal à me figurer l’ampleur du désastre. Vers midi, un responsable de Houston s’est adressé aux citoyens via les ondes de radio pour réquisitionner des bateaux et faire appel aux très bons nageurs, et leur demander de participer aux efforts de sauvetage, là où les véhicules ne pouvaient pas atteindre la population. C’était très surprenant de les entendre demander de l’aide aux citoyens et cela m’en disait long sur la gravité de la situation.
Ici, à Livingston, il a plu tout le jour et toute la nuit. Je surveille ce qui se passe depuis ma fenêtre, mais ne vois que la pluie qui tombe sans fin. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu d’inondation, et j’en suis soulagé. Ceci dit, je ne peux m’empêcher de me demander, que se passera-t-il si nous avons 600 mm de pluie sans discontinuer ? Je pense que ces cellules se rempliraient d’eau et que rien ne pourrait empêcher l’eau de passer. A certains endroits à Houston, l’eau atteint 5 mètres de haut ! Le plafond de ma cellule est à 3 mètres du sol, nous serions tous noyés.
Cette catastrophe est loin d’être passée, et jusqu’à présent, Livingston – et l’unité Polunsky – a eu de la chance, la tempête ayant davantage touché la zone à l’ouest de Houston que l’est, là où nous sommes, et les précipitations que nous avons reçues ont été moindres. Je ne sais pas comment tout cela va finir, mais je garde les yeux et les oreilles grand ouverts et espère que rien ne m’arrivera !
Ce lundi matin, j’étais debout à 7 heures. Les gardes ont expliqué que la moitié seulement des effectifs habituels se trouvait au travail aujourd’hui. A cause de ce manque de personnel, le couloir de la mort du Texas est complètement immobilisé. J’ai demandé à un garde comment ça se passait là où il vivait. Il m’a répondu qu’il y avait des inondations partout autour de son quartier, et qu’il y avait 300 mm d’eau sur la route quand il est venu au travail le matin. S’il a pu se rendre au travail, c’est parce qu’il conduit un pick-up. S’il avait eu une voiture classique, il aurait dû rester chez lui.
Peu après cette conversation, mon voisin m’a crié depuis sa cellule : « Fais gaffe ! De l’eau coule des tuyaux ! » J’ai aussitôt regardé la porte de ma cellule et j’ai vu l’eau qui commençait à entrer. Aussitôt, je m’active, il faut que j’empêche l’eau d’entrer dans ma cellule ! Je regarde par la porte et vois que l’eau provient de la canalisation, le long du couloir entre ma cellule et celle de mon voisin. Le débit de l’eau augmente rapidement, alors, j’attrape ma serviette et la jette au sol, ce qui ralentit la progression de l’eau. Puis, je prends du papier journal et coince le papier chiffonné entre le bas de la porte de ma cellule et le sol. Puis j’éponge l’eau qui est parvenue à s’infiltrer dans ma cellule et improvise un barrage avec d’autres journaux, puis des chaussettes et pose la serviette sur le tout. Par chance, l’eau arrête sa progression au bout de 5 minutes. Je commence alors à réfléchir à la situation, le système d’évacuation des eaux tout autour de l’unité est saturé à cause des précipitations trop abondantes, et l’eau ressort des canalisations. Que se passera-t-il si je ne parviens pas à arrêter l’eau la prochaine fois ? Il faut encore tenir deux jours de pluie ! Non, je dois me préparer à toute évacuation d’urgence moi-même. Alors, je rassemble mes effets personnels. Je suis maintenant prêt à quitter cette cellule avec mon barda pour gagner en hauteur si besoin. Où et quand, ça, je n’en ai pas la moindre idée, mais, je suis prêt !
Il est maintenant 19 heures. La pluie s’est calmée et jusqu’à présent, les canalisations n’ont plus craché d’eau – mais cette tempête historique n’est pas terminée ! J’espère que l’eau ne refluera plus des canalisations et ne menacera plus d’entrer dans ma cellule, ou Dieu sait quoi… Seul le temps nous le dira !
Lundi 28 août 2017
Charles D. Flores 999299