Journal de bord du 8 au 12 juillet 2020
8 juillet 2020 (« We gotta get out of here », The Animals)
« Tout va s’arranger »
Comment ne pas être ravi de contempler,
Par-delà la lucarne, les nuages qui s’en vont,
Et une marée haute reflétée au plafond?
Il faudra bien mourir, je le sais, il le faudra bien,
Mais à quoi bon s’étendre?
Les rimes noircissent le papier sans effort,
Leur source secrète est le cœur en éveil ;
L’aurore vient en dépit de tout,
Et les villes lointaines sont belles et radieuses.
Couché dans une débauche de soleil,
Je regarde poindre le jour et fuir les nuages.
Tout va s’arranger
Derek Mahon
Aujourd’hui, Billy Wardlow fut mis à mort. On dit beaucoup de choses sur les détenus du couloir de la mort, mais laissez-moi vous dire ceci. Aucun de nous ne peut être réduit à ce qu’il a fait de pire. Que l’on soit innocent ou coupable, ce que l’on a fait de pire durant notre vie ne nous définit pas. C’est le cas pour vous?
Repose en paix Billy Joe Wardlow, puisse ta mort faire la différence. Tu étais la crème de la crème dans ce camp de la mort. Tu vas me manquer, mon pote.
10 juillet (« Heavy metal », Sammy Hagar)
« La profondeur de votre lutte déterminera la hauteur de votre succès » Inconnu
J’ai reçu l’appel téléphonique d’un de mes avocats aujourd’hui et pendant que j’étais au parloir, en attendant l’heure prévue, j’ai eu l’occasion de parler à quelqu’un là-bas. J’ai appris que les dernières volontés de Willy Wardlow étaient que Dani filme ce que ces salauds font du corps de la personne assassinée après avoir accompli leur sale besogne. Et j’étais d’accord à 100%.
Si je veux que tout le monde aux États-Unis et partout dans le monde VOIT cet acte sacrilège (ils vous assassinent puis vous mettent dans l’Église du Bon Dieu), c’est parce que les citoyens de ce pays et d’ailleurs ont besoin de savoir ce qui est fait en leur nom. Je ne veux plus jamais qu’un autre assassinat motivé par cette vengeance qu’autorise le droit s’apparente à un acte médical, propre, sans bavure. Ce qui est fait au nom de chaque citoyen de ce pays doit être connu de tous. Vous devez être témoin de l’action de votre gouvernement meurtrier à chaque exécution.
C’est pourquoi la dernière demande de Billy Wardlow était de faire enregistrer et de diffuser la vidéo de ce spectacle hérétique pour que le monde entier puisse y assister. Il s’est servi de ce meurtre pour faire éclater au grand jour ce qui nous arrive à nous, les prisonniers du couloir de la mort.
Les temps changent, que cela plaise ou non à ces salauds, et je fais partie de ce changement.
11 juillet 2020 (« I don’t know why », Angela Streeny)
« Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles », Oscar Wilde
Parfois, ce bâtiment est si silencieux que j’entends les portes métalliques qui s’ouvrent et se ferment de l’autre côté de l’unité carcérale. Quand nous sommes en quarantaine, c’est aussi calme que ça et j’aime ça. C’est bien mieux qu’un brouhaha abrutissant.
Aujourd’hui, c’est un autre trio d’AC (agents correctionnels) qui a travaillé dans notre unité et un gars a été affecté au bâtiment 11, où les détenus issus de la population générale sont en confinement temporaire. Il a dit qu’il y avait 13 prisonniers avec le Covid-19 là-bas. Ils sont malades comme des chiens, ont de la fièvre, toussent, ont difficultés à respirer, tout ça… Plus de doutes, le virus est là. C’est un rappel à la réalité pour quelqu’un comme moi, assis dans cette cage, qui ne voit rien d’autre que ces murs pendant des mois, des années.
Puis hier, l’AC de la deuxième équipe de nuit a dit que de nouveaux cas positifs de Covid-19 avaient été découverts au sein de l’unité de la population générale. S’en sont suivis 14 autres jours de quarantaine. Chaque fois que nous avons un résultat de test positif, la quarantaine de 14 jours reprend.
Mais surtout, ce sont ces idiots qui ont introduit le Covid-19 et maintenant la situation empire. Jusqu’à présent, tout va bien dans ma cage. La semaine prochaine, nous serons autorisés cantiner, à acheter de quoi envoyer des courriers et nous laver. Je suis content, j’ai besoin de timbres.
Le mantra, c’est « Concentré, solide et en avant » quoiqu’il arrive. Il faut que je sorte de cet endroit.
12 juillet 2020 (« 3 lock-box », Sammy Hagar)
« Un gagnant est un rêveur qui n’abandonne jamais » – Nelson Mandela
Dimanche soir. Une énième semaine se termine. Je pense à la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant dans l’unité Polunsky. C’est une très grande prison, plus de 2200 personnes y sont enfermées. L’écrasante majorité est composée de détenus issus de la population générale (« de droit commun »). Dans le couloir de la mort, 190 détenus survivent au sein du bâtiment 12. Au cours des deux ou trois dernières semaines, nous avons eu à plusieurs reprises des cas positifs au Covid-19 parmi les gardiens qui vont et viennent quotidiennement. Il y a deux semaines, il n’y avait pas assez d’AC pour plus de deux jours avec « promenade » dans le couloir. Lundi dernier, on nous a dit qu’il manquait tellement de personnel que toute l’unité a été mise en quarantaine médicale pendant 14 jours.
Ensuite, nous avons appris que les gardiens qui travaillent dans la cuisine de l’unité de la population générale étaient tous en quarantaine. Tous testés positifs au Covid-19. Et ils ont transmis la maladie aux détenus qui travaillent dans les cuisines. Et maintenant, ces détenus sont malades, très malades. Il y a de plus en plus de détenus de la population générale qui tombent malades, c’est très grave. Ces gars-là vivent les uns sur les autres et sont en quarantaine, mais pour eux, toute distanciation physique est impossible. Il n’y a rien à faire. Et ce sont les détenus qui reviennent et qui font du travail d’esclave au Département de la Justice Pénale du Texas (TDCJ) : du nettoyage et du travail manuel, pendant qu’un AC les « surveille ». Maintenant, on se retrouve avec deux sources potentielles d’infection au covid-19. Les AC qui vont et qui viennent, et les détenus de la population générale qui tombent malade à cause de leurs gardiens car ils travaillent avec des AC. Je ne sais pas ce qui va se passer, mais l’objectif est de rester en sécurité et en bonne santé !