21 Février 2019
Une fois de plus, je prends mon stylo pour écrire. Ma cellule est au deuxième étage, ce que nous appelons le « rang 2 » et je suis pile au dessus de la salle commune. Ce bâtiment est fait de ciment épais. Les murs, le sol, et le plafond. Et les sons résonnent, font écho à cause des murs. La plupart du temps, je fais exprès de créer un « son blanc » à l’aide de mon ventilateur pour empêcher le bruit d’envahir mon espace personnel. J’ai aussi ma radio allumée tout le temps pour masquer le bruit de la folie qui menace ma santé mentale. Il y a des moments où je repère la faiblesse de son intensité et alors je baisse le volume de la « machine à faire du bruit » dans ma cellule. C’est dans des moments comme ceux-là que je réalise à quel point le silence est précieux. À quel point le silence et la quiétude sont appréciables. Comme on dit, on ne sait pas la chance que l’on a d’avoir telle ou telle chose tant qu’on ne l’a pas perdue. Comme la chance de pouvoir s’écarter de la foule et de trouver le silence. Ou bien de rester à la maison sans que rien n’interrompe la paix et le silence. C’est pourquoi j’aime les petites heures du matin, quand tous les braillards dorment encore. Ou bien les fins de semaine quand ils cherchent à oublier leur condamnation dans le sommeil ou qu’ils écrivent des lettres, peu importe, pourvu qu’ils soient silencieux un moment. « G », mon pote de chez moi dit que c’est le wagon vide qui fait le plus de fracas. Et c’est quoi ce fracas ? Des conversations sur ce qu’il y a de nouveau à la cantine, qui s’est vu infliger une sanction, quel gardien est parti, ou quel autre est revenu après une démission, les jeux de dominos ou les échecs. Tout ça est cacophonie pour moi. D’autres cherchent à fuir leur destin de cette façon, tandis que moi je cours vers le mien. Et je me prépare pour le succès final, quand j’y arriverai. Mes yeux restent fixés sur la récompense.
Dimanche 17 février 2019.
Me voici au milieu d’un week-end de trois jours, parce que demain, c’est le « Jour du Président ». Je n’ose pas faire de commentaires, il pourrait entendre ! Quelle que soit la raison, j’ai fait bon usage de cette fin de semaine. Il y a des jours où je dors 6 à 8 heures et je me sens fatigué et sans entrain. C’était le cas aujourd’hui, alors, je suis retourné me coucher après la douche. Trois heures plus tard, je suis éveillé, frais et dispos et j’ai écrit mon essai de la semaine. Parfois, la page blanche est intimidante, et j’évite de la regarder. Certains pourraient croire qu’il est facile d’écrire. Ça ne l’est pas. Quand je ne suis pas au mieux de ma forme, mais que je me force néanmoins à écrire, j’ai l’impression d’écrire avec mon sang. Quelquefois, je donne l’impression que c’est facile, mais il me faut aussi partager quand ce n’est pas le cas.
Aujourd’hui j’ai noirci ma page et je suis satisfait du résultat. La vie est de plus en plus stressante et difficile, et j’arrive de mieux en mieux à m’en accommoder. Ça fait du bien, et je suis heureux de pouvoir dire ça.
Finalement, arrive ce qui doit arriver, et on n’y peut pas grand-chose. Ni vous là-bas, ni moi ici, mais on peut décider de nos réactions et c’est ce sur quoi je me concentre. C’est ma manière de réagir, de m’adapter, et non pas seulement de survivre à la folie de ce couloir de la mort mais de grandir au milieu de cette folie. Je suis de nouveau en pleine forme, et j’ai bien l’intention de le rester. De récents évènements concernant ma mère m’ont aidé à me recentrer, et à me souvenir qu’au final, ce qui importe vraiment pour moi, c’est mon combat pour la liberté, pour l’aimer (ma maman). Rien ni personne ne m’empêchera d’atteindre mon objectif. Rien.
Mercredi 20 février 2019.
Hier à midi, j’écoutais les informations à la radio quand on a annoncé que la Cour Suprême venait de statuer sur la déficience mentale de Bobby Moore et de décider que, par conséquent, il ne peut être exécuté. C’est le premier cas de ce genre sur lequel la Cour Suprême a statué en changeant ainsi la manière dont est évalué le handicap intellectuel. Donc, cela peut maintenant servir aux gars dont le dossier mentionne cette question. Pour beaucoup, c’est le seul point qui fait obstacle entre eux et la chambre d’exécution. Donc, c’est une grande décision, et ça va en aider plus d’un ici.
Aujourd’hui, c’est cantinage, et je suis heureux d’avoir eu encore la chance de me procurer tout ce dont j’avais besoin pour tenir le temps de ce confinement prolongé qui arrivera dans les semaines qui viennent. Ce confinement concerne aussi la population générale (hors couloir de la mort) et durera au moins 3 semaines. Puis il faudra attendre notre tour pour retourner à la cantine. Si on se retrouve à court de produits de base, comme le matériel d’écriture, le savon, le dentifrice, le café, etc., alors on est mal. Je suis prêt, et je m’en trouve bien. Ce fut une longue journée durant laquelle j’ai fait un peu de lessive et j’ai écrit une longue lettre et là, à 21 heures j’attends mon tour pour aller à la douche. Ces jours-ci, nous allons en promenade le matin et nous avons la douche à 22 heures. Ensuite, le courrier est distribué à minuit. Je ne cesse de me dire que je suis heureux que le courrier arrive. C’est tout. Mais parfois, c’est dur. C’est juste une autre journée dans le couloir de la mort du Texas.
Jeudi 21 février 2019.
C’est le soir, et je suis assis, le stylo à la main, pour mettre mes idées sur le papier. A la fin de l’an dernier, une décision de la Cour Suprême des États Unis (le plus haut degré de juridiction) intitulée « Mc Coy contre la Louisiane » a donné la liste de choses auxquelles un prisonnier a droit de manière indiscutable. Par exemple, le droit de plaider coupable ou non coupable. Peu importe la quantité de preuves à charge contre le prévenu. C’est SA décision, à lui seul, et personne d’autre que lui ne peut prendre cette décision cruciale qui met sa vie ou sa mort en jeu. Ni sa famille, ni ses amis, pas même son avocat. Seule la personne qui doit répondre d’accusations peut prendre cette décision. Il est révélateur que la plus haute juridiction de ce pays puisse renverser une sentence de mort, sur la base de ce droit dans le dossier Mc Coy. Ce droit apparaît aux yeux de la plus haute Cour d’Appel des États-Unis de manière parfaitement indiscutable et ce droit a des répercussions sur tous les aspects de la vie d’un prisonnier du couloir de la mort et sur la procédure d’appel de son dossier. Ce droit s’applique aussi pour moi, qui me bats bec et ongles, jour et nuit. Quiconque prétend m’ôter ce droit et ne pas travailler avec moi dans le cadre de ma campagne de défense franchit la ligne et s’oppose à moi. Avant, j’étais aveugle, mais aujourd’hui je vois, et j’agirai en conséquence. Et je déclare que rien ne fera obstacle à la façon dont je prends les décisions qui concernent ma vie, pour atteindre mes objectifs. S’il y a des retards dans la publication de mes écrits, une mutinerie à bord, je m’imposerai.