Nouvelles du Couloir de la Mort – 7 septembre 2019
« Peu importe le laps de temps durant lequel on ait pu rester coincé par la perception de nos limites. Si on entre dans une chambre obscure et qu’on allume la lumière, peu importe que cette pièce soit restée dans la pénombre durant un jour, une semaine ou dix mille ans. On appuie sur l’interrupteur, et elle s’illumine. Dès que nous découvrons notre capacité à aimer et à être heureux, alors, lumière est faite. » Sharon Salzberg.
Durant ces derniers mois, j’ai dû faire face à une suite ininterrompue de pertes, d’événements douloureux et de traumatismes. Je le vois, le ressens et le sais, comme une vérité incontestable. Et pour la première fois depuis ce qui me semble être une éternité, je suis en mesure de dire que je me sens vraiment très bien ! Cette expérience palpitante qu’est la vie continue de me mettre à l’épreuve par toutes sortes de petits obstacles qui me mettent au défi. Certains sont totalement inattendus, d’autres sont malheureusement le fruit de mes propres actions. Quand il m’arrive ce genre de choses, je dois bien être honnête avec moi-même, aller au fond du problème et m’en occuper. C’est par là que je dois commencer. A chaque fois, je dois rentrer en moi-même, et faire le travail que la vie me demande de faire.
Chaque fois que je me retrouve par terre, parce que quelque chose d’imprévu m’est tombé dessus et m’a mis au sol, premièrement je n’abandonne pas la lutte, jamais, et deuxièmement, je me dis que ce sera une leçon de plus qui m’aidera à grandir. Apprendre et grandir, ce sont deux des raisons qui expliquent notre présence sur cette terre. Nous ne sommes jamais trop vieux pour apprendre, parce que l’école de la Vie continue à nous prodiguer mille leçons, et que le jour où nous découvrons que nous n’apprenons plus rien, alors nous sommes morts. Parce que je suis à l’isolement dans le couloir de la mort, enfermé dans une cage de 2,75 x 3,65 mètres, 22 heures par jour, j’ai beaucoup de temps pour réfléchir. Et lorsque je m’assois et que je passe en revue ma vie, souvent j’observe que j’apprends quelque chose que j’ignorais au moment où je vivais la situation que je suis en train d’analyser.
Ce matin je pensais à ce qu’est la vie quand on est incarcéré, qu’on a fait sa vie dans le couloir de la mort. Parfois, c’est presque facile d’être positif, d’avoir un but quand tout marche comme on veut. On a une bonne équipe d’avocats qui travaillent sur la procédure d’appel avec de nouveaux éléments qui peuvent vous sauver la vie et vous donnent l’espoir de ne pas être exécuté. Puis, il y a la famille et les amis qui vous donnent l’amour et le soutien dont on a besoin pour faire face à cette vie dans le couloir de la mort. Quand on est dans une période de chance, c’est du gâteau d’aller d’un jour à l’autre, d’un succès à l’autre et on se dit que « c’est juste une question de temps avant que de GRANDES choses n’arrivent enfin et que l’heure de quitter ce camp de la mort des temps modernes ne vienne ». À d’autres moments, il est extrêmement difficile d’être une bonne personne avec une attitude positive. On a perdu en appel, on a perdu un être cher, un(e) bon(ne) ami(e). On perd tant et tant ! On ne comprend pas pourquoi Dieu a permis que tant de malchance nous tombe dessus, que ceux que l’on aime vivent des moments difficiles, ou pourquoi il y a tant de souffrance dans le monde, y compris dans mon petit univers. Ça peut devenir si difficile qu’on ne trouve plus la force ou la motivation de sortir de son lit.
Vous pouvez me croire quand je dis ça, j’en étais là, il n’y a pas si longtemps, perdu dans le noir, et tâtonnant pour chercher un sens à ce qui m’arrivait. Quand c’est comme ça, tout devient si difficile que ça peut provoquer une dépression et pousser une pauvre âme au suicide. Dans ces situations, on se bat pour garder ses esprits, pour sauver sa peau, et de bien des façons, on découvre sa vraie nature.
Et dans ce cas, on atteint un moment décisif. Soit on rentre en soi-même et on trouve la force requise pour apprendre les leçons nécessaires pour arranger les choses, et on revient plus fort que jamais. Soit on reste coincé. Et quand on est coincé, on devient cynique, négatif, on voit tout ce qui ne va pas, et on déverse sa souffrance sur tous ceux qu’on rencontre, et on les rend malheureux, eux aussi. Je le sais, je vois ça tous les jours ici, dans le couloir de la mort du Texas. Chaque fois que je suis dans une telle situation, il est important pour moi de me mettre sur la défensive, [tout comme les premiers colons blancs, venus prendre la terre, mettaient leurs chariots en cercle pour se protéger des attaques des Indiens], et revenir en terrain connu. Pour moi, c’est la pratique spirituelle qui me donne le contrôle nécessaire sur mon esprit, mon « moi », mes pensées et mes émotions, qui me redonne la maîtrise de ma vie dans la Conscience/Présence, le véritable « moi ». Ensuite, à partir de là, il s’agit de trouver l’interrupteur en moi pour rallumer la lumière. Parce qu’il me semble que notre vie est comme un livre, et que chaque année de notre vie comme un chapitre de ce livre. Certains sont pleins de joie, de bonheur et de fête, d’autres sont terribles, remplis de souffrance, de chagrin, de peine. Au point que l’on a hâte d’arriver à la fin de ces épisodes.
Les deux derniers chapitres du livre de ma vie furent les pires des deux dernières décennies. C’était terrible. Lorsque j’ai subi toutes ces pertes, c’était comme si je m’étais pris une masse de 5 tonnes sur la figure, je me suis demandé si j’y survivrai. Mais j’y suis parvenu. J’ai appris à vivre avec ma peine et à y faire face, à ressentir sa morsure et j’ai compris qu’elle disparaîtrait comme elle était venue. Elle peut éventuellement me faire tomber à la renverse, encore et encore, mais, à un moment donné, cette douleur se fera moins intense. Je me remettrai debout et je continuerai de faire de mon mieux avec ce que j’ai. Et de cette façon, j’ai retrouvé en moi l’interrupteur et j’ai rallumé la lumière. Je ne savais pas que c’était possible jusqu’à ce que j’apprenne les techniques d’adaptation pour gérer cette situation. Je n’ai pas de thérapeute à qui parler, ni d’ami de confiance disponible, auprès de qui demander de l’aide ou sur qui je puisse compter pour m’expliquer ce qui m’arrive. J’étais seul, dans cette chambre de torture et il s’agissait soit de comprendre ce qui m’arrivait et d’agir, soit de périr.
J’ai appuyé sur l’interrupteur, j’ai rallumé la lumière, j’ai vu ce qui m’arrivait et j’ai procédé aux changements requis. Et me voici à présent devant vous, un petit peu plus usé, un peu cabossé, avec quelques cicatrices de plus, mais je suis là. Je suis plus fort que jamais et le vrai MOI est de retour. Mon vrai moi est à la manœuvre et va le rester. Comme je suis passé par cette épreuve, j’ai pu réaliser que je pouvais survivre à n’importe quoi. Ça peut faire mal, je peux avoir l’impression que je vais mourir, ça m’amochera davantage et me fera changer de façon inattendue, mais je survivrai. Et je suis heureux de réapprendre ça, parce que tandis que j’approche du prochain chapitre de ce livre qu’est ma vie, je suis prêt à recevoir ce que Dieu a prévu pour moi. Je ne suis pas certain de ce que ce sera, mais ça me va, puisque je suis engagé dans cette course, et ceux qui le sont avec moi feront aussi la fête avec moi, ou bien ils pleureront avec moi quand nous arriverons au bout du chemin. J’espère une grosse fête, je compte dessus après avoir survécu au combat, alors que le soleil et la chaleur nous attendront de l’autre côté. Je vis en espérant que se produisent de grandes choses dans ma vie, et je fais confiance au Créateur de faire en sorte qu’elles arrivent. Comme j’ai repris les rênes de ma vie, j’ai gagné en puissance en apprenant comment gérer mes pensées et mes émotions, à les laisser aller et venir d’une façon plus saine. Apprendre la résilience et savoir comment rebondir en pleine conscience, en s’y appliquant, après ces traumatismes, m’a rendu la totalité de mes forces. En cultivant de façon délibérée des habitudes positives de bienveillance, de gratitude, de joie et d’émerveillement et ainsi en remplaçant ces reflexes négatifs que ce sont la colère, l’orgueil et l’attachement, je change complètement ma perception et mon point de vue. Quand je suis capable de faire ça, je me remets sur la bonne voie, je contrôle ma vie comme elle doit l’être en refusant de me laisser diriger par les distractions ou d’autres stratégies d’adaptation malheureuses.
En apprenant à prendre le temps de m’occuper de ma souffrance, je la digère et je ne la transmets pas à ceux qui me sont proches et que j’aime le plus. Ainsi je retrouve mon chemin à travers le brouillard, l’obscurité, je trouve l’interrupteur pour laisser entrer le soleil, l’amour, la joie, et le bonheur qui rendent la vie si merveilleuse. Ce travail sur moi m’a aidé à retrouver ma route et je suis tellement heureux de cette grâce et de pouvoir vivre un jour merveilleux après l’autre.
Amour, Paix, Espoir et Rires.
Charles Don Flores.