NOUVELLES DU COULOIR DE LA MORT DU TEXAS – LE 19 MAI 2018
Qu’est-ce qui vous inspire ?
« Je ne veux pas me retrouver à la fin de ma vie et m’apercevoir que je n’en ai vécu que la longueur. Je veux aussi en avoir vécu l’épaisseur. » Diane Ackerman
Je commence la plupart de mes journées par un temps de méditation et de prière. Je pense notamment à mes frères qui font face à une date d’exécution et se trouvent dans l’antichambre de la mort. Ceux qui n’ont jamais vécu avec la mort postée à leur porte, à attendre une date fixée pour que l’on vienne les faucher, ceux qui n’en ont pas fait l’expérience ne pourront jamais vraiment comprendre de quoi je parle. C’est comme si l’Etat vous avait fait monter dans un train fou et avait ensuite érigé une barrière indestructible sur les rails. Alors, il se peut que cette barrière soit si loin devant que vous le la voyiez pas, car la date prévue de votre exécution tombe dans plusieurs mois. Ou alors, peut-être que cette barrière se trouve directement dans votre champ de vision, parce que vous n’êtes plus qu’à quelques semaines voire quelques jours de votre date. Le train dévale les rails à toute vitesse et si vous ne trouvez pas un moyen de sauter de ce train ou de retirer la barrière, le train va s’y écraser et vous ne serez plus de ce monde.
Il n’y a aucune logique à la peine capitale. C’est comme être frappé par la foudre, on ne sait jamais qui sera le prochain.
On ne sait jamais qui pourrait bien se voir accorder un sursis ou qui pourrait disparaître à cause de ces diables de l’Etat du Texas. Je le sais, j’ai vécu 5 mois dans une cellule spéciale, sous surveillance 24 heures sur 24, sous le coup d’une date d’exécution en 2016. Et en 2016, la moitié des hommes qui avaient des dates d’exécution ont survécu et les autres ont été assassinés au nom de la justice.
Chaque matin, au réveil, après m’être recentré à l’aide d’exercices de respiration, une fois que j’ai trouvé mon point d’ancrage, alors que le monde semble s’être immobilisé, lorsque je « rentre en moi-même », je prends le temps de demander à l’Univers d’accompagner tous les hommes du couloir de la mort, de leur donner la force et le courage de faire face à la journée qui les attend. Je récite aussi une prière particulière pour mes frères dans l’antichambre de la mort. Je leur envoie de l’amour et de l’énergie positive, ainsi que de la force et du courage, parce que je sais ce qu’ils traversent. Lorsque je fais ça, je prends aussi le temps de me souvenir que la vie est éphémère, que l’existence est transitoire, ce qui rend la vie d’autant plus précieuse.
Lorsque je rentre en moi-même, je visualise les brèves amitiés que j’ai nouées à mon arrivée dans le couloir de la mort du Texas, en 1999, avec des hommes qui ont été exécutés peu de temps après. Je pense aux amis que j’ai connus pendant 5 ans, 10 ans. Je repense aux gars dont j’ai vu la vie être happée par la machine de mort du Texas, alors que j’étais dans l’antichambre de la mort. Je sais qu’il n’existe aucune garantie que qui que ce soit parmi nous ait encore des années voire des décennies devant lui. Même si je suis relativement en bonne santé et que je me sens toujours jeune (environ un jour sur deux), être là le lendemain n’est pas une promesse. La vie est telle qu’un jour nous sommes vivants et que le lendemain, nous sommes partis et il est trompeur de se dire « j’aurai le temps de faire ça plus tard », c’est une évidence. Moi, cependant, cette idée me stimule, je ne suis pas abattu par cette réalité de l’existence.
Il y a plusieurs années de cela, j’ai eu la grande chance d’apprendre cette leçon essentielle qui veut que lorsque nous apprenons à mourir, nous apprenons aussi à vivre. Parce que la réalité de la mort, cette vérité qui veut que personne n’ait la vie éternelle, que nous soyons là pour un moment donné puis, que nous ne soyons plus, cette vérité gomme toutes les absurdités de la vie et nous permet de nous recentrer sur l’essentiel. Ainsi, cette conscience que j’ai de la mort me pousse à ne pas être oisif. Cette vérité me rappelle que je dois pleinement tirer parti de ce précieux cadeau qu’est la vie, que je dois m’efforcer de tenir encore quelques mètres, alors que je crois avoir épuisé toutes mes ressources. M’appliquer autant que faire se peut à œuvrer pour le bien et à apprendre à développer ma bienveillance et ma douceur, vis à vis de tous les êtres vivants. Parce que je maîtrise parfaitement cet aspect de mon existence, et que mon succès ou que mon échec dépend de moi à 100%. Je maîtrise peu la plupart des autres aspects de ma vie, mais dans ce domaine, c’est moi qui suis aux commandes.
Ainsi, la réalité qui veut que la mort fasse partie de la vie m’inspire. Cette réalité me pousse à vouloir être au maximum de mes capacités dans tout ce que je fais. C’est un rappel permanent que j’ai déjà vécu la moitié de ma vie et que, si j’ai de chance, je pourrai bien avoir encore 40 années devant moi. Durant ces quelques décennies, je n’aurai pas un seul jour à perdre, pas seulement pour moi mais aussi pour les autres frères que l’Etat du Texas a rayés de la surface de la terre. Je pense à eux et je sais que je dois vivre ma vie aujourd’hui, et surtout quand je serai libre, d’une manière qui les rendrait heureux. Tant d’hommes ont vécu et sont morts dans le vouloir de la mort du Texas, sans avoir eu une autre chance de goûter à la liberté, alors, quand j’aurai retrouvé la liberté, j’aurai le devoir de vivre pleinement ma vie.
Il y a trois jours, un ami proche dénommé Juan Castillo a été exécuté par l’Etat du Texas. J’ai réfléchi à cette exécution et j’ai tenté de comprendre comment un frère que j’avais côtoyé pendant 14 ans, et qui, d’après moi, était innocent, avait pu être ainsi mis à mort.
Je ne comprendrai jamais pourquoi il a subi un tel sort, alors, je ne vais pas essayer de trouver le sens de ce meurtre légal.
Je vais me contenter de me souvenir de mon frère Juan Castillo et parlerai toujours de lui en bien. Je garderai son souvenir tout au fond de moi. Castillo était un vrai chic type, naturellement bienveillant envers les autres. Il aidait toujours ceux qui en avaient besoin, c’était quelqu’un de bien, tout simplement. Ces diables ont peut-être pris sa vie, mais ils n’emporteront jamais la bienveillance qu’il a manifestée envers les autres, ils n’emporteront jamais non plus le fait que tous ceux qui ont connu Castillo parleront de lui en de bons termes et honoreront sa mémoire.
Le nœud du problème réside dans le fait que depuis 19 ans, je vis confiné dans le couloir de la mort du Texas pour un crime que je n’ai pas commis. Et que vous soyez aussi coupable que le péché ou aussi innocent que l’enfant qui vient de naître, ne vous méprenez pas, ce lieu est un abattoir. La mort y est donnée de telle façon que le public ne voit ni sang ni violence, mais ces diables nous tuent bel et bien. Au cours de ces 19 années, j’ai rencontré certains de mes meilleurs potes et certains de mes amis les plus proches ici, dans le couloir de la mort du Texas. Des frères qui étaient coupables et d’autres innocents du crime au nom duquel ils avaient été envoyés dans cet enfer sur terre, comme Castillo. De ce fait, je vis en permanence avec l’idée de la mort à l’esprit, et je choisis de me servir de cette réalité comme d’une inspiration pour vivre ma vie du mieux possible, alors que je poursuis mon combat pour la justice et la liberté.
Cela fait 5 mois que nous attendons que le juge du tribunal de première instance rende sa décision dans le cadre de mon appel. Très bientôt, nous connaîtrons la décision que nous attendons tous en notre faveur et cela marquera le début de ma sortie du couloir de la mort du Texas pour de bon.
Le train de la liberté quittera la gare et je serai à bord ! Une fois mon but atteint, lorsque démarrera la deuxième partie de ma vie, libre à tout jamais et loin, bien loin de ce terrible endroit, je savourerai pleinement chaque journée. Je vivrai pour moi et pour mon frère Juan Castillo. Je vivrai pour tous les autres frères qui n’ont jamais eu cette chance et je refuse de les laisser tomber. Ainsi, leur temps passé sur cette terre et leur combat pour la vie et la liberté demeureront pour moi une source d’inspiration. C’est bien le moins que je puisse faire !
Et vous, qu’est-ce qui vous inspire ? Qu’est-ce qui vous donne des ailes, vous pousse à aller de l’avant ? Peu importe de quoi il s’agit, ne lâchez pas ce qui vous inspire et faites en sorte que ce carburant vous pousse à profiter à fond de chaque nouvelle journée !
Amour Paix Espoir et Liberté, bientôt !
Charles D. Flores N°999299
Couloir de la mort du Texas
Le 19 mai 2018.