NOUVELLES DU COULOIR DE LA MORT DU TEXAS – Le 24 mars 2018.
« SI VOUS POUVIEZ LIRE DANS MES PENSEES… »
Si vous pouviez lire dans mes pensées à l’instant même, qu’y verriez-vous ? Seriez-vous surpris ? Etonnés ? Déçus ? Ou peut-être y verriez-vous une nouvelle façon d’appréhender votre vie et d’y déceler tous les points positifs ?
Ce matin, quand je me suis levé, ma cellule était sombre, baignée de silence et l’air y était frais. A 6 heures, le quartier a commencé à bouillonner d’activité et pendant environ deux heures, les allers et venues n’ont pas cessé, tandis que les gardiens escortaient les gars pour les mener à la douche puis les ramener dans leur cellule. Environ la moitié des détenus de l’aile ont refusé de quitter leur lit pour aller se doucher, sachant qu’aujourd’hui, il n‘y aurait pas de promenade, et ils ont préféré s’octroyer une grasse matinée. Moi, je me lève tôt, parce que la paix et la tranquillité font mon bonheur. Je crois que je serais prêt à parcourir des milliers de kilomètres pour y accéder. Ce silence est l’un des biens les plus précieux que je possède.
Mes pensés vagabondent en tous sens tandis que je m’acquitte des diverses tâches quotidiennes de mon petit univers. C’est le printemps, ce qui veut dire que l’air est chargé de pollen, et que ce pollen parvient à s’infiltrer dans le bâtiment et dans ma cellule. Chaque matin, je nettoie le sol de ma cellule et en essuie les murs pour éliminer la poussière qui s’est déposée sur chaque surface. J’ai mis la radio en fond sonore. J’écoute la radio publique nationale et j’entends le créateur d’Instagram nous expliquer : « Nous avons tous un gros coup de chance au moins une fois dans la vie, et, ce qui est essentiel, c’est de savoir quoi faire de cette chance une fois qu’elle s’est manifestée ».
Ces paroles résonnent en moi et me font me demander : « qu’ai-je fait de la bonne fortune qui s’est manifestée dans ma vie ? » Est-ce que j’ai su parfaitement tirer parti de tout ce qu’il y a de positif dans ma vie ? Est-ce que je fais tout ce que je peux pour profiter pleinement de la chance/des choses positives/des opportunités qui se succèdent sur mon chemin ?
La réalité de mon existence confinée dans une cellule de 5,5 m2 et le bruit qui s’échappe de mon poste de radio se diluent alors que je m’attarde sur ces questions, que je tente de déterminer si je crois être digne de ce que je considèrerais comme une réussite. Parce que pour moi, c’est simple, tout se résume au succès, soit, à la liberté retrouvée, sachant que si j’échoue, c’est l’exécution et la mort. Je ne crois pas qu’il existe d’enjeu plus élevé sur lequel miser dans cette loterie que l’on appelle la vie, et cela fait maintenant 20 ans que je joue ce que j’ai de plus précieux.
Bientôt, la lumière du jour s’invite dans ma cellule. Alors, je grime sur ma couchette métallique et me tiens en équilibre sur une haute pile de livres à couverture rigide et regarde à travers la fenêtre de 10 cm sur 90 cm, découpée dans le mur du fond de ma cellule. Je suis surpris de constater que de gros nuages couvrent un horizon chargé et que la pluie menace. A présent, mon poste diffuse de la musique et j’écoute une veille émission qui programme le top 40 du 21 mars 1971. J’adore les vieux tubes et me délecte du groove alors que défilent les titres de la sélection et que je regarde tourner le monde depuis ma fenêtre. Il est maintenant environ 10 heures et je distingue le parking construit devant la prison, par où gardiens et visiteurs pénètrent dans cet établissement pénitentiaire de sécurité maximale, bâti par l’Etat, et où vivent plus de 2000 hommes. Les vastes étendues de gazon viennent d’être tondues et les haies qui bordent l’allée de béton qui mène au bâtiment principal de la prison, à l’intérieur de l’enceinte, ont été impeccablement taillées par les équipes de jardiniers employés par la prison. Je les ai observés à l’œuvre hier.
C’est nouveau pour moi de regarder par la fenêtre. Au cours des dernières décennies, je n’ai que rarement jeté un œil par la fenêtre, parce que je voyais systématiquement un ciel radieux, un soleil éclatant, des oiseaux voleter çà et là, et que j’avais trop envie d’être dehors et de voler librement, moi aussi. Alors, je ne regardais jamais par la fenêtre.
Lundi dernier, j’ai vu un de mes bons amis, Anthony, au parloir et il m’a demandé dans quelle aile je me trouvais. Je lui ai indiqué l’aile et la cellule où j’étais et il m’a alors répondu : « Mais, on peut tout voir de là où tu es ! » J’ai ri et j’ai répondu : « Ouais, mais regarder dehors, c’est pas mon truc ! » Bref, jamais je ne jetais un œil par la fenêtre. J’ai repensé à cet échange pendant 2 jours, puis je me suis dit que je gâchais une belle occasion. Il n’y a que deux unités dans le couloir de la mort du Texas qui aient cette « vue ». Cela correspond à 28 cellules, 14 au rez-de-chaussée, (1 rangée) et 14 au deuxième étage (2ème rangée). Je suis sur la deuxième rangée, soit environ à 6 mètres au-dessus du niveau du sol lorsque je regarde par la fenêtre de ma cellule. C’est le mieux que l’on puisse espérer.
Alors, j’ai installé cette pile de gros bouquins, que je laisse sur ma couchette, pour me rappeler que je dois me lever et regarder par la fenêtre et voir ce qui se passe ! Et ça marche, je prends maintenant le temps d’observer ce qui se passe dans le monde depuis ma fenêtre.
Je pense que le fait que je SERAI bientôt libre m’aide à comprendre pourquoi je ne le faisais jamais auparavant. Je dois élaborer ces différentes stratégies pour me motiver et me pousser à faire ces choses. Est-ce-que c’est fou ? Est-ce que, après 20 années de mise à l’isolement, j’ai dépassé le point de non-retour ? Ou bien, comme je le dis parfois à mes amis, « est-ce que le couloir de la mort du Texas m’a fait perdre la boule ?! »
Aujourd’hui, le couloir de la mort du Texas ouvrira le parloir à 17 heures 30. Je regarderai par ma fenêtre pour voir arriver les visiteurs. Je n’attends personne, j’ai déjà eu ma visite habituelle cette semaine. Mais peu importe, j’assisterai à cet évènement.
Je peux comprendre l’attrait qu’exerce cette fenêtre. Cela ne m’étonne pas que l’on puisse y passer des heures sans discontinuer. Ajoutez à la vue un peu de musique et vous voilà avec une bande sonore pour accompagner votre journée. La musique a ce pouvoir de vous emmener loin ; les chansons qui défilent vous ramènent chez vous, vous font voyager en un lieu précis, vous font retrouver un moment particulier de votre vie, quand vous étiez heureux et libre, et peut-être même amoureux ! Une chanson peut aussi vous faire revivre la douleur de la perte d’un amour ou d’un ami… Je ne le comprends que trop.
Je repense à la conversation que j’ai eue avec P.G. hier, dans la salle de jour. C’est un frère à l’esprit affûté et nous avons toujours de riches conversations pleines de sens et positives ; j’en ressors toujours en ayant appris quelque chose. Il m’a dit que ça ne rate jamais, quelle que soit la couleur de peau des enfants, chaque fois qu’ils quittent le bâtiment et retrouvent l’allée, ils détalent comme des lapins ! Le chemin file droit et couvre peut-être la distance d’un pâté de maisons, ça fait donc un sacré bout. Alors, j’attends et espère voir ces bambins courir, heureux et libres. On dit que courir, c’est l’expression physique de la liberté et j’en conviens. Je crois que les gamins en ont l’intuition, et lorsqu’ils quittent l’environnement oppressant du parloir d’une prison, ils ressentent ce besoin de se défaire de ces chaînes qui les ont un temps enserrés et de reprendre leur envol. ça, je le comprends à 100% !
Alors que j’observe les enfants sortir du bâtiment principal, je repense à mes 10 ans. A l’époque, je prenais la route avec mes parents pour rendre visite à mon frère incarcéré. Lorsque ça a commencé, nous vivions dans l’ouest du Texas et il nous fallait rouler plus de 10 heures pour le voir. Alors que j’y repense aujourd’hui, je me dis que je ne connaissais pas vraiment mon frère aîné à cause de son incarcération et à présent, je comprends que nous ne retrouverons plus jamais ce temps perdu.
Est-ce la même chose pour ces enfants qui viennent rendre visite à leurs proches ? Apprécient-ils ces moments au parloir ? Je me rappelle que j’aimais bien rendre visite à mon frère et que je ne voulais pas le laisser dans cette prison au moment de partir. Je voulais le ramener avec nous, à la maison. Est-ce que ces enfants se trouvent confrontés aux mêmes sentiments ? Je sais que dès le moment où mon frère a été incarcéré, du haut de mes dix ans, je me disais que les gardiens, les agents de police, le FBI, bref, tous les flics, quels qu’ils soient, étaient devenus des ennemis. Ils retenaient un membre de ma famille et, que cette détention soit juste ou non, ces hommes ne méritaient que le mépris.
A quel point est-ce que cela a contribué à mon comportement délinquant alors que j’étais mineur, puis, plus tard, lorsque j’étais jeune adulte ? Comment accepter d’enfermer des hommes et des femmes pour une éternité, alors que l’on connait les effets de cette détention sur toute une famille ? Parce que, lorsqu’un membre d’une famille se trouve en prison ou dans le couloir de la mort du Texas, c’est toute la famille qui purge sa peine avec lui.
Puis, je m’éloigne de la fenêtre. On ne m’avait pas menti, j’ai vu deux jeunes enfants sortir du bâtiment puis s’élancer à toute allure sur l’allée. J’ai souri, et même ri, en les voyant. Je leur ai soufflé : « Cours petit frère, cours et sois libre ! »
Maintenant, je réfléchis à ce que je dois faire ce week-end. Mon objectif est le même, je fois écrire un texte par semaine pour mon blog et envoyer plusieurs pages de pensées quotidiennes, et j’ai aussi des lettres auxquelles je dois répondre.
Je cherchais un sujet pour mon prochain texte et la réponse m’est venue grâce à une chanson : « Si vous pouviez lire dans mes pensées » par Gordon Lightfoot. Son titre a atteint la 13ème place au hit parade du mois de mars 1971 et lorsque j’ai entendu ce titre, je savais que je tenais mon sujet ! Cette chanson exprime un amour perdu et elle est très belle. Je l’aime beaucoup !
Comme dit la chanson… Si vous pouviez lire dans mes pensées !
Charles D. Flores N°999299
Couloir de la Mort du Texas
Le 24 mars 2018.
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